Concentration brouillée : comment l’ère numérique surcharge notre système nerveux
Et si le cerveau ne manquait pas de concentration, mais de silence ?
Les difficultés d’attention sont souvent perçues comme un problème interne, une faiblesse ou une incapacité à rester focalisé. On parle de cerveau "dispersé", "fuyant", "inconstant", sans prendre suffisamment en compte l’environnement dans lequel il évolue. Pourtant, la concentration repose sur un terrain propice : un système nerveux capable de gérer et de filtrer les stimuli qui l’entourent. Face à un environnement saturé de sollicitations, ce système nerveux est mis à rude épreuve.
1. 74 Go d’informations par jour : quand le filtre cérébral déborde
Les chiffres sont impressionnants : selon une étude du MIT, le cerveau humain reçoit quotidiennement environ 74 gigaoctets d’informations, soit l’équivalent de seize films en haute définition. Ces données ne sont pas sélectionnées, elles s’enchaînent sans temps de digestion ni de tri.
Le système nerveux est normalement chargé d’exercer un filtrage permanent : il sélectionne ce qui est pertinent, met en veille ce qui peut l’être, et ignore le superflu. Cette fonction est pilotée par le cortex préfrontal, une région cérébrale dédiée à la gestion de l’attention et de la priorité des stimuli.
Toutefois, dans un contexte d’exposition constante aux écrans, notifications, bruits et multitâches, ce filtre est saturé. Le cerveau est contraint de traiter des stimuli sans importance avec la même urgence que des signaux cruciaux. Ce phénomène, connu sous le nom de perte d’inhibition sensorielle, déstabilise le système nerveux.
Les sensations deviennent envahissantes : la lumière paraît plus agressive, le bruit plus assourdissant, les interruptions plus irritantes. Ce qu’on appelle la pollution perceptive épuise la capacité du cerveau à hiérarchiser les informations sensorielles, ce qui affecte directement la concentration et le bien-être.
2. La dérégulation nerveuse : un système en vigilance constante
Cette surcharge d’informations provoque une réaction physiologique profonde. Le système nerveux autonome (SNA), qui contrôle les fonctions involontaires telles que la respiration, le rythme cardiaque et la tension musculaire, peut se retrouver bloqué dans un état de vigilance élevée.
La théorie polyvagale, développée par Stephen Porges, décrit comment le système nerveux peut rester coincé dans un état d’alerte douce permanente, rendant difficile le passage vers le mode parasympathique, associé au repos et à la récupération.
Ainsi, malgré un sommeil apparemment suffisant, la sensation de fatigue persiste, car le système nerveux ne bénéficie pas d’un véritable relâchement. Cette fatigue de régulation se manifeste également par une hypersensibilité aux stimuli, des difficultés à maintenir une attention stable, et une tendance à répondre compulsivement aux sollicitations numériques.
Ce dysfonctionnement traduit une réduction progressive de la capacité du système nerveux à moduler ses réponses face à un environnement devenu trop exigeant.
3. Le Biofeedback TNS : rendre visible la dérégulation pour mieux la rééduquer
Le Biofeedback TNS (Training Neuro-Sensoriel) propose une méthode innovante qui ne consiste pas à ajouter des informations, mais à rendre perceptibles les dysfonctionnements du système nerveux.
Au centre de cette approche se trouve le diploscope, un appareil qui projette devant les yeux des images simples telles que des cercles, des lettres ou des figures géométriques. L’intérêt n’est pas dans le contenu des images, mais dans la façon dont elles sont perçues.
Une image perçue comme déplacée, floue, instable ou partiellement absente révèle une dérégulation dans un circuit précis du système nerveux. En fonction de la distance et de la nature des stimuli, il est possible de localiser l’origine de la perturbation — qu’elle concerne l’équilibre postural, la gestion du stress par le système autonome, ou la présence mentale.
Le diploscope agit donc comme un miroir sensoriel, révélant en temps réel le filtrage, ou la perte de filtrage, des signaux visuels. L’entraînement vise alors à réapprendre à percevoir correctement ces images sans forcer, permettant ainsi au système nerveux de rétablir un équilibre sensoriel essentiel à la concentration et au bien-être.
4. Le silence : une pratique active de régulation neuro-sensorielle
Dans une société dominée par le flux continu d’informations, le silence est souvent perçu comme un simple arrêt du bruit ou une pause momentanée. Pourtant, il constitue une pratique active et essentielle de rééducation du système nerveux.
Le silence offre un espace où les circuits de régulation peuvent se détendre, où le système nerveux cesse de trier en permanence les stimuli. C’est un moment nécessaire pour que le corps retrouve ses capacités naturelles de repos et de récupération.
Cependant, pour un système nerveux saturé, le silence peut être inconfortable. Il peut provoquer une sensation d’agitation intérieure ou un vide perçu comme angoissant. Ce ressenti est un indicateur que la régulation est en cours de réapprentissage.
Accorder au système nerveux dix minutes quotidiennes sans écran, dans une lumière tamisée, en pratiquant une respiration consciente ou simplement en fermant les yeux, devient un exercice neurologique à part entière. Avec le temps, cette pratique améliore la capacité du système nerveux à s’ajuster et à retrouver un équilibre durable.
Références :
G. Quertant, La culture psycho-sensorielle, 1911-1942. Développement du diploscope et de la méthode de rééducation neuro-sensorielle.
Étude du MIT (2011) : estimation de 74 Go d’informations traitées quotidiennement par le cerveau humain.
S. Porges, Polyvagal Theory, 1994 : modèle expliquant la hiérarchisation des réponses du système nerveux autonome.
CEREN (Centre d’Études et de Recherches en Équilibre Nerveux), publication Biofeedback sensoriel : du diploscope à la rééducation, 2013.
www.training-neuro-sensoriel.ch : site officiel de la méthode TNS et des applications du biofeedback diploscopique.